Le chêne et le roseau (en matière de syncrétisme culturel)
UN Å’IL SUR LE MONDE MUSULMAN
PAUL LAURENDEAU
Pourquoi l’épanouissement identitaire serait-il un communautarisme? Pourquoi le repli identitaire serait il un multiculturalisme? L’un dans l’autre, la question de l’intégration multiculturelle ou pluriculturelle ou interculturelle rencontre deux traitements, celui du chêne et celui du roseau.
Le chêne: la France. La République se réclame d’un certains nombre de valeurs de base qui fonctionnent comme des principes axiomatiques. Tous les citoyens étant égaux devant la loi française (dont l’extraterritorialité est fondée et légitimée dans la ci-devant universalité -voulue ou réelle- des fameux droits humains – valeurs de 1789, que les ricains implémentèrent… en 1776, mais bon) et il faut se conformer. On ne touche pas plus à la laïcité qu’on ne touche aux congés payés. L’immigrant et ses descendants sont une sorte d’accident de parcours, un apport toléré s’il s’intègre, un candidat, serein ou rebelle, à l’assimilation. Politique identitaire est un terme péjoratif en France. Le concept central pour eux, c’est le communautarisme, synonyme de replis identitaire, de résistance indue face aux exigences élémentaire de la vie publique, de crispation passéiste.
Le roseau: le Canada. Terre d’immigration dotée de deux peuples fondateurs égaux en droits et en valeurs… sinon dans les faits. Décontraction très Nouveau Monde, ouverture (non exempte cependant d’un type tout particulier de condescendance onctueuse et bienveillante parfois presque fétide, oh que oui…). Toutes les religions, tous les restos, tous les langages. Port des couvre-chefs religieux autorisé partout, sans problème particulier. Tolérance est le maître mot, le calcul étant qu’une intégration saine et effective ne se fait pas sous la contrainte des lois mais par le serein exemple. Le Canada se réclame de la notion cardinale de multiculturalisme et l’épanouissement identitaire est une valeur endossée et promue. Huit personnes sur dix rencontrées sur la rue ignorent purement et simplement la signification glauque du mot communautarisme.
Attention important! Notez qu’il ne s’agit pas ici de reprendre le jugement de valeur porté par la fable de Lafontaine. Notre bon fabuliste n’est pas nécessairment un auteur réaliste! Si le chêne de la fable se déracine tandis que le roseau plie et reste indemne, la moindre promenade auprès d’un de nos beaux lacs canadiens vous montrera des roseaux ayant cassé net d’avoir été trop flexibles et des chênes ayant parfaitement résisté à l’orage…
Ceci dit, ces deux modèles gagneraient chacun à s’inspirer un peu de l’autre. L’exemple historique du Québec est ici particulièrement parlant. Au moment de la conquête anglaise de 1760, une population française de 60,000 âmes, implantée depuis plus de 150 ans, se retrouve subitement encadrée par un occupant n’alignant pas 20,000 gogos. Le cas est savoureux, piquant et fort utile à la réflexion car ici, c’est l’immigrant minoritaire qui tient le pouvoir économique et politique… Spontanément communautaristes, du communautarisme du charbonnier en quelque sorte, les canadiens français du temps voyaient à leurs affaires, leur religion de chapelle, leur cadastre rural, le mariage de leurs fils et de leur filles, leurs corvées villageoises, leur pot-au-feu, selon leurs lois, us, pratiques et coutumes traditionnels. Le conquérant, un peu ébahi par la cohérence bourrue de cette autonomie vernaculaire, a vite vu qu’il ne pouvait pas réformer et angliciser tout ça. Il a donc justement fait la part du feu. Les crimes, impliquant notamment mort d’homme, les arnaques majeures, les insurrections, seraient traités selon les lois de l’occupant. Pour le bazar de litiges, de cadastre, de récoltes, de constructions de chapelles et de mariages, arrangez-vous entre vous avec vos lois françaises. Le Québec a, encore aujourd’hui, un code civil français et un code criminel de common law britannique. Il tient aux deux, comme il tient fermement à son parlement de type britannique, où il traite ses affaires en français… En 1774, deux ans avant la révolution américaine, craignant que les français de la vallée du Saint Laurent ne veuillent s’associer à la république américaine naissante, les occupants britanniques du Dominion du Canada, toujours numériquement minoritaires, produisent la première loi multiculturelle ou interculturelle ou pluriculturelle en terre nord-américaine, L’Acte de Québec. En un mot: OK les copains, vous pouvez rester catholiques, vous pouvez conserver la langue française, vous ne devez plus prêter explicitement serment au roi d’Angleterre. Les autres ont répondu Vive le Roi George! (en français) et les bataillons canadiens français eurent un rôle important à jouer pour empêcher la révolution américaine de s’exporter dans nos arpents de neige… Notons au passage qu’il y a donc, ici aussi, une république jouant un rôle de dynamo… extérieure, mais quand même…
Peut-on donner tort aux Québécois d’avoir continué de faire cuire leur couscous et de porter leurs voiles, si vous me passez l’analogie? Peut-on les accuser de replis identitaire pour avoir perpétué ainsi leur existence nationale, produisant une des cultures francophones les plus originale au monde hors de France, et imposant de facto à toute l’entité canadienne la notion profonde et définitoire de multiculturalisme, dont celle-ci, sans le dire trop fort, se serait bien passé autrement? Conseil d’ami: n’allez pas dire aux Québécois qu’ils auraient aussi bien pu s’assimiler, cela les crisperait fort. La notion d’assimilation est hautement péjorative pour eux. C’est purement et simplement la suprême exécration. La culture arabe de France ne pourrait-elle pas, modulo les ajustements requis, produire un résultat lumineux similaire? Par la force des faits, les britanniques paniqués des premières décennies de la Conquête de la Nouvelle France nous donnent la leçon du roseau.
Mais 250 ans plus tard, cette société québécoise, aujourd’hui laïque et moderniste, se rend compte soudain que cette souplesse anglo-saxonne qui fonda son existence commence à sérieusement gripper. Les québécois et les québécoises sont profondément féministes, le droit de la femme est pour eux un enjeu cardinal. Peuvent-ils reprocher à nos jacobins de Français, dans leur raideur et leur grandeur, de vouloir dire ça suffit! quand des pratiques juridiques inégalitaires grugent et compromettent de partout leur égalité républicaine qui est aussi un peu la nôtre? Sur le droit des femmes, si durement acquis, si fragile encore, si incomplet, la fermeté française en matière de replis identitaire (de ghetto ethnoculturel, de combines maritales louches, de magouilles d’immigration, d’oppression occulte de l’immigrante par l’immigrant – et, oui, comme la version française nous le suggère fortement, appelons un chat un chat) nous donne indubitablement, comme fatalement, la leçon du chêne.
Pourquoi l’épanouissement identitaire serait-il un communautarisme? Pensez au Québec, de plus en plus ouvert sur le monde et épanoui. Ce n’est pas un communautarisme. Pourquoi le repli identitaire serait il un multiculturalisme? Pensez aux femmes immigrantes ne bénéficiant pas effectivement des lois nationales et vivant incarcérées dans leur propre communauté, coupées du monde. Il n’y a pas grand chose de multiculturel là -dedans. Complexe.
Pensez, pensez… Pensez syncrétisme du chêne et du roseau…
Il faut doser ces deux apports, au cas par cas. Voiles, turbans, bouffe, couteaux rituels, mariage, musique, héritage, patrimoine, écoles, garderies, hôpitaux, banques, religion, laïcité tout doit y passer. Il faut patiemment tamiser. Chêne ici, roseau, là , Chêne pour ceci, roseau, pour cela, Il y en a pour une bonne génération. D’autres syncrétismes de grande valeur, ethnoculturels ceux-là , en émergeront, si c’est fait proprement… Je suis optimiste.
Brillant, je le pensait sans l’avoir exprimé aussi clairement.
« les occupants britanniques du Dominion du Canada, toujours numériquement minoritaires, produisent la première loi multiculturelle ou interculturelle ou pluriculturelle en terre nord-américaine, L’Acte de Québec »
Erreur! Ce ne sont pas les occupants britanniques minoritaires du Dominion du Canada qui produisent l’acte de Québec mais les britanniques d’Angleterre. Sauf erreur de ma part, les occupants britanniques minoritaires du Dominion du Canada s’opposent tellement à l’Acte de Québec qu’ils obtiennent la scission du Québec (Haut-Canada et Bas-canada) pour pouvoir créer une colonie de langue anglaise régie par la common law (Haut-canada/Ontario).
« Spontanément communautaristes, du communautarisme du charbonnier en quelque sorte, les canadiens français du temps voyaient à leurs affaires, leur religion de chapelle »
En général, vivre chez soi selon sa culture et ses coutumes ne constitue pas du communautarisme. Ma définition du communautarisme est plutôt la suivante : émigrer dans un autre pays et y vivre selon les us et coutumes de son ancien pays, essentiellement avec des personnes de son pays d’origine. On peut être d’accord avec ça mais ça n’est pas la conception de la société des français, ni d’ailleurs des québécois.
Oui, oui. Et vive notre « civilisation québécoise »….
Ping :Le chêne et le roseau. Pourquoi l’épanouissement identitaire serait-il un communautarisme? Pourquoi le repli identitaire serait il un multiculturalisme? « Le Carnet d'Ysengrimus
Cher Laurendeau,
Vous ne pouvez comparer la culture Arabe en France à la culture Québequoise au Canada, puisque les Québequois étaient là avant les Anglais, quand les Arabes étaient en France après les Français. Ce n’est pas la même légitimité. Et mon argument n’est pas hostile à la culture Arabe, puisque j’ai moi-même étudié cette langue et cette culture indispensable à l’humanité et surtout à elle-même. 😀
Bonne journée
DW
Voilà que j’écris Québecois comme j’écrirais des Iroquois ! c’est un lapsus matinal qui est lourd de sens. Je vous donne le droit de me punir toute la journée. 😀
Demy
« Ce n’est pas la même légitimité. »
L’argument du « nous étions les premiers » rencontre des difficultés insurmontables, surtout dans le Nouveau-Monde, mais dans l’ancien aussi. La gérontocratie repose, de fait, sur la même prémisse et, conséquemment, charrie des carences l’un dans l’autre fort analogues…
C’est juste que dans votre texte, vous commencez par bien établir que l’histoire a su prendre en compte la primauté du peuple Québecois qui était là avant les Englishes et puis vous prenez cette partie à témoin pour nous dire que les derniers arrivants pourraient bénéficier de cette même primauté. C’est là que j’ai perçu, avec la plus grande effronterie je l’accorde, cette petite contradiction, qui vous est venue parce que vous avez les meilleurs sentiments du monde, je le sens trop. 😀
Finalement, en France on est encore plus Canayens que vous presque des Canaillous ! 😀 😀
Vous comprenez, en France nous serions si contents de recevoir les beaux sheikhs des Arabies vêtus de robes blanches comme Lawrence des Arabies Heureuses, et tous pleins de culture mystérieuse, de secrets et de regards allusifs, certes plus fins que les allusions de Charbonneau à Carolle Anne 😀 , mais moins réels je le crains.
Ces rêves sont une utopie en France, puisque nous voyons venir les plus farouches enclins à mettre le feu à tout ce qui est occidental, et malheureusement ce sont ceux-là qui font le plus de bruit. Comment pourraient-ils s’intégrer, les poches pleines de colères prêtes à exploser.
Il y a forcément une méfiance qui s’est installée, car dans le même temps, les gouvernements disent au Peuple qu’il doit être gentil et s’excuser de ne pas être plus accueillant, et après tous ces attentats qui n’ont certainement pas soigné l’image des lointaines cultures quand elles atterrissent au beau milieu de la rue de Rennes pour tout foutre en l’air dans le sang à la Une.
Pour s’intégrer il faut être discret ou briller par son apport intelligent et moral, tout le reste n’est que palabre de salons et fumée sans feu.
L’argument clef dans le développement, Demian c’est pas celui de l’antériorité chrono mais celui du nombre. On parle, dans les deux cas, d’une importante minorité numérique qui a des droits et une impulsion non négligeable dans le rapport de force. Le résultat est historiquement fatal et se résume en un mot: syncrétismes.
Le reste, y compris les hystéries xénophobes les plus hirsutes que nous déplorons tous deux, ne sont que modus operandi de la mis en place de ces syncrétismes qui, eux, avancent d’abord en grinçant puis en se coulant dans la banalité des affaires classées (et trop vite oubliées).
Message reçu 😉
C’est vrai que quand je vois mes compatriotes québécois réclamer que les immigrants s’assimile je trouve que ça fait paradoxe de l’arroseur arrosé en titi. Les québécois sont les champions authentiques de la résistance à l’assimilation et veulent en priver les autres??? WTF!!! Ils devraient pourtant les comprendre dans leurs motivations profondes…
Toute l’Histoire – comme la nature – raconte comment on doit faire aux autres ce que l’on ne veut pas que les autres nous fassent. Les Anglais parlent de ‘food chain »
PJCA
Ce n’est exclusivement ni affaire de valeur, de nombre, d’avantages circonstanciels ni de détermination, mais un tout dont les composantes sont pondérées par la réalité et qui se résume banalement en un rapport de force. La plus forte gagne.
Les cultures n »ont pas d’amies mais seulement des rivales et, à occasion, des alliées circonstancielles. Une culture veut occuper toute la place… et c’est a ça qu’on on la reconnait, d’ailleurs. Dans les faits, au contact des autres, elle s’ouvre a ce syncrétisme dont parle ici Paul Laurendeau, mais si certains individus l’acceptent, c’est en proportion inverse de leur attachement a leur culture d’origine et leur acceptation affaiblit d’autant cette dernière. On peut faire ce choix, mais il est indécent de le cacher.
J’ai parlé longuement de ce choix, dans la première partie d’un article sur l’Afrique discutant de la naissance (avortée ?) d’une culture hybride, phénomène qui ne se distingue du syncrétisme dont on parle ici que dans sa finalité. Ceux que cette question intéresse trouveront peut être aussi cet article-la intéressant. Il y’a le chêne et le roseau… mais il y’a aussi le bambou
http://nouvellesociete.wordpress.com/2008/08/31/partenariat-sauver-lafrique/
Le choix du syncrétisme n’a qu’un seul objectif; celui d’éviter toute forme d’opposition aux pouvoirs en place. Tous les Empires en ont compris les mécanismes, principalement celui de l’Egypte antique aux centaines de divinités, et plus tard celui de Rome.
De nos jours, les ingénieurs sociaux du pouvoir financier ont compris que seule la cupidité, et les multiples variantes immanentes du matérialisme philosophique (je-me-moi- ici-maintenant), peut nous réunir tous, en parfaite concorde avec l’aide de leurs médias-kapos, autour d’un seul dieu; IN GOLD WE TRUST
Vivement le syncrétisme mondial dont l’objectif final aura l’apparence d’un gros « Porridge » planétaire d’un multiculturalisme disparu en prenant bien soin d’y écraser et mélanger chaque fruits que la diversité nous offre en une saveur unique d’une portion de gamelle de survie juste avant de se rendre au paradis des travaux forcés de la consommation pour nous occuper au lieu de réfléchir et respirer la vie.
Solve Coagula, leur projet en marche.
DG
Mais il peut encore facilement déraper ce projet :
http://www.le-carnet-de-jimidi.com/article-le-tres-enthousiasmant-professeur-gerald-huther-121134472-comments.html#anchorComment
http://www.youtube.com/watch?v=IGQ9i-xdruc
C’est dans le sein des femmes conscientes que cela se passera. Et nous devrons les épauler sans condition.
Je souscrit aux propos tenus par Denis Gélinas à l’effet que l’Empire (néo romain) utilise le communautarisme pour mêler les cartes.
L’intégration n’a rien à voir avec l’assimilation. On parle, dans une certaine mesure, d’un lent processus qui permet à l’immigrant de venir apporter sa contribution au genius loci de la culture d’accueil.
La défense du français n’a rien à voir avec un réflexe atavique ou nostalgique. Il s’agit de défendre les fortifications symboliques de la cité montréalaise.
Et, partant, de la nation québécoise dans son ensemble.