Le projet de loi 60 et les valeurs libérales
PHILIPPE DAVID : À l’aube du début des consultations sur le projet de loi 60, la « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement » (que j’appelle « la-Charte-dont-on-ne-peut- Que sont les « valeurs libérale »? Depuis que les barons anglais ont forcé le roi Jean Sans Terre à signer la Magna Carta, l’idée a germé qu’il est immoral que le roi (ou si vous préférez, l’État) puisse impunément abuser de ses sujets. Que sa légitimité découle du consentement des gouvernés. Ceci est le principe sur lequel toutes les nations qui se disent démocratiques sont fondés et pourquoi plusieurs d’entre elles incorporent une loi spéciale dans leur constitution dont le but est de définir les droits fondamentaux de la plus petite minorité, en l’occurrence l’individu, et de limiter les pouvoirs de l’état sur celui-ci. Le Québec et le Canada ont leurs Chartes des Droits et Libertés respectives qui remplissent ce rôle, les États-Unis ont leur Bill of Rights et la France à sa Déclaration des Droits de l’Homme. Ces lois, dans leur application, affirment le caractère inaliénable des droits humains et le fait qu’aucun état ne peut se prétendre être légitime s’il viole ces droits sans justification. IElles affirment que tout individu est seul propriétaire de sa personne, son corps et sa pensée. Qu’il doit avoir la liberté de penser librement, d’adhérer à toute idéologie, philosophie ou religion de son choix et d’agir selon sa propre conscience et son propre intérêt tant que ça ne nuit pas à autrui. Elles affirment aussi que tous les individus sont égaux de droits, peu importe leur genre, leur race, leur religion ou leur orientation sexuelle. Elles proclament également que la gestion des affaires d’état ne peut souffrir l’intervention que quelque autorité religieuse que ce soit. Ces principes sont universellement reconnus comme le fondement de tout état de droit. Cela signifie que tout individu a droit d’adhérer à toute religion de son choix et qu’il a la liberté d’exprimer sa croyance librement dans l’espace public de quelque façon que ce soit, à moins qu’on ne puisse démontrer que l’exercice de ce droit cause un sérieux préjudice à d’autres individus. Or, avec ce projet de loi, la preuve de préjudice en ce qui a trait au port de symboles religieux par des personnes travaillant dans le secteur public et parapublic est loin d’être faite. La laïcité et la neutralité de l’État Le principe de neutralité de l’État exige que celui-ci ne soit pas influencé par une religion dans le but d’obtenir un traitement de faveur. Selon ce principe, l’État ne peut donc pas voter de loi favorisant ou défavorisant une religion plus qu’une autre. Une juste illustration d’une violation de ce principe serait par exemple, d’introduire une loi qui incorporerait la charia dans notre système de justice. La charia étant strictement rattachée à la pratique de l’islam, une loi qui voudrait l’introduire dans notre système religieux serait une violation claire du principe de neutralité et transformerait de facto notre état de droit en théocratie. Ceux qui craignent cette éventualité peuvent se rassurer en sachant qu’elle est très improbable pour cette raison. La véritable question est : Est-ce que le principe de neutralité religieuse de l’état s’étend au port de signes religieux par ses agents ? C’est matière à débat, mais pour ma part, je ne le crois pas. L’interdiction de tels signes ne garantit aucunement que le principe de neutralité de l’état soit respecté. À preuve, l’interdiction du port de signes d’appartenance politique n’a certainement pas empêché certains enseignants de « prêcher pour leur paroisse » socialiste voire communiste. Pourquoi serait-ce différent pour les religions ? Au contraire, le fait que les agents de l’États portent certains signes religieux (ou politiques, tant qu’à faire) informent le récipiendaire des services à qui il a affaire et reflète aussi la diversité que l’État est supposé représenter. Je crois plutôt que la neutralité de l’état dépend plus de la bonne foi de ses agents que de leur accoutrement, qu’il soit ostentatoire ou non. Donc, il n’est certainement pas évident de démontrer que le port de signes religieux ostentatoires compromet le principe de neutralité de l’état. Chose certaine, le gouvernement n’a certainement fait aucun effort pour prouver que cette neutralité est compromise et que le port de signes religieux ostentatoires cause un préjudice à quiconque ou qu’il y ait urgence d’agir pour résoudre un problème dont il n’a même pas prouvé l’existence. Je crois que le gouvernement a certainement échoué de répondre au fardeau de la preuve. L’égalité homme-femme Sérieusement, l’égalité homme-femme est-elle vraiment menacée au Québec? Les québécoises vivent-elles dans la terreur de devoir abandonner leur carrière et être de nouveau reléguées à leur ancien rôle de ménagères et reines du foyer à cause que certaines immigrantes portent un voile et que des demandes d’accommodements religieux par rapport à la ségrégation des sexes ont eu lieu ? Les acquis des femmes au Québec sont-ils vraiment menacés ? C’est quoi cette histoire ? C’est sûr que si quelqu’un dans une université, par exemple, fait la demande de n’avoir aucune femme dans son cours, le gros bon sens dicte qu’on doit répondre « non » si l’égalité des sexes est vraiment une valeur importante pour nous, mais comme l’a démontré la direction de l’Université d’York, il ne faut jamais sous-estimer l’incapacité de certains fonctionnaires à se plier au gros bon sens. Est-ce pour cela qu’on veut une charte ? Pour insuffler un peu de gros bon sens à ceux qui n’en ont pas ? Quels autres problèmes a-t-on à gérer dans le dossier des accommodements ? Sont-ils tous aussi nigauds ? Commence par « i » et finit par « slam » Faut pas se leurrer. Nous savons tous que ceux qui sont vraiment visés ici ne sont pas les catholiques, les juifs ou même les sikhs (ok, peut-être un peu les sikhs), ce sont les musulmans. Je ne nierai pas que l’expansion de l’islam à travers le monde cause des maux de têtes aux démocraties occidentales. Il est clair que beaucoup de musulmans ont une vision très différente de ce que la société doit être que nous. Cette vision est largement incompatible à nos valeurs libérales. On dit qu’ils ne reconnaissent pas nos lois. Grand bien leur fasse, mais qui contrôle la police et a le devoir de faire respecter ces lois ? On dit que ce sont des barbares qui lapident les femmes, décapitent les gays et lesbiennes et brulent les visages des femmes qui refusent de se voiler. Quand avez-vous vu l’un d’eux faire ça au Québec ? Ils veulent imposer la charia ! Pour l’instant, « ils » ne représentent que 3%. Même si leur taux de fécondité est plus important que le nôtre, il tend à diminuer une fois qu’ils sont ici. Les projections démographiques les plus crédibles les estiment à environ 7% de la population en 2030. Ce n’est pas avec ça qu’ils vont bientôt faire élire un gouvernement. Mais même si… Croyez-vous sérieusement que le projet de loi 60 les arrêterait ? La vraie menace… Vous voulez savoir ce qui est la vraie menace à notre identité ?
J’ignore comment les historiens représenteront ce petit épisode dans notre histoire, mais à mon humble avis, l’adoption de ce projet de loi sera certainement un jour sombre pour les valeurs libérales au Québec. |